Le Rap Haïtien comme Instrument de Controverse et d’Influence Sociale

Si l’on veut interpréter le rap dans son identité première, on le reconnaîtra comme un moyen de représentation, de vantardise, de sensibilisation, de position, de dénonciation et d’accusation. Le rap (Rythm And Poetry / Rythme et Poésie) est « l’art de dire avec un rythme sur un beat répétitif ». En d’autres termes, le rap est l’utilisation de narration rythmée avec l’intention de revendiquer ou de pointer du doigt un phénomène quelconque. Ce mouvement, qui nous est parvenu et que nous perpétuons avec le temps en multipliant son idéologie fondamentale, est l’un des produits les plus populaires du mouvement hip-hop.

 

 

Actualité/Société/Rap Creole

Publié le 

Par  Dudeley METELLUS   Journaliste   de  caphaitiennews.com

Le rap est un embranchement du hip-hop, une activité artistique qui intègre l’ensemble des éléments artistiques du hip-hop en son sein. Bien que, parfois par manque d’attention ou par ignorance, plusieurs artistes ou mélomanes n’arrivent toujours pas à distinguer le rap et le hip-hop dans leurs véritables représentations. Le rap se caractérise par la récitation rythmée de paroles, souvent accompagnée d’un beat, tandis que le hip-hop englobe non seulement le rap, mais aussi le deejaying, le MCing, le breakdance, le graffiti, la mode, la poésie de rue, et un code linguistique (langage de rue) qui lui est propre. Le 11 mai 2001, les Nations Unies ont présenté une Déclaration de paix dans laquelle le hip-hop s’identifiait comme un mouvement visant à promouvoir la paix et à s’opposer à la violence sous toutes ses formes. En Haïti, après des générations, à travers le rap, le hip-hop semble, pour certains, jouer un rôle différent qu’autrefois, évoluant en dehors de sa mission première et de la déclaration de paix.
Le Hip-Hop tire ses origines du Bronx, un quartier pauvre de la ville de New York aux États-Unis en 1970. Frustrés et victimes de situations déplorables, inhumaines et criminelles qui sévissaient dans leur communauté, des jeunes ont utilisé toutes sortes d’alternatives comme le rap, le graffiti et d’autres formes d’expression pour revendiquer leur mode de vie et demander des améliorations. Un mouvement qui connaîtra une évolution remarquable et qui perdurera longtemps pour parvenir jusqu’à nous.
De son bénéfice, le rap s’est vu comme un moyen permettant à chacun et à tous d’avoir aussi son mot à dire, de faire écouter et comprendre son idéologie personnelle et de faciliter une inclusion sociale.
Arrivé en Haïti au début des années 1980, grâce à des pionniers comme Master Dji, Supa Denot, Elie Rack, Frantzy Jamaican, BOP, Top Adlerman, K-Taflak, Jimmy O, Yakouza, F-Ner, Tragik, 27, 2Kondane, K-Lib, Ouragan, etc., et des groupes de la capitale et des provinces ainsi que les lieux où les rappeurs échangeaient, apprenaient sur le rap et évoluaient ensemble. Le rap, vite embrassé par le ghetto qui voulait à tout prix se faire une place dans le discours public, n’était, au contraire, pas le bienvenu dans le pays pour certains, vu qui le pratiquait et comment se tenait le discours dès sa première pratique. D’ailleurs, la grande majorité des rappeurs étaient perçus comme des dangers sociaux, capables de perturber l’atmosphère tranquille de la société et d’inciter les jeunes à une décadence presque irréversible. Malgré tout, ce mouvement n’a pas perdu son équilibre et le ghetto a continué à exprimer des phénomènes réels et des situations de vie terrifiantes qui nécessitent quand même une attention, malgré les propos (flow, punchline) souvent utilisés qui ne faisaient pas l’unanimité.
Si pour certains le rap était un moyen de dénoncer ou d’exprimer leur triste réalité dans les quartiers populaires et de demander le respect de leurs droits, pour d’autres, c’était simplement une façon de dénigrer la gent féminine et de lancer des propos sexistes et humiliants envers les jeunes filles des rues et plus largement dans la société. Ce phénomène de dévalorisation des jeunes filles a connu un succès fou dans le pays et a même poussé certains rappeurs au style social et doux à emprunter ce chemin populaire et économique, bien que certains restent fermes et gardent une position intacte face à cette situation dominante.
Commun dans les rues et dans l’esprit des gens, certains parents accusent certains rappeurs d’être responsables de la délinquance juvénile et de la pensée criminelle et violente qui se développent chez les jeunes Haïtiens (adolescents, jeunes, écoliers, universitaires). Cela a entraîné un discours vulgaire et dominant associé à des actions de méchanceté, pensent-ils (les parents). En somme, il semble que le rap contribue en partie à la formation de criminels et d’insensibles dès le plus jeune âge, tant dans le présent que pour l’avenir.
En relation avec le rap, des activités ou programmes de nuit animés par des DJ, selon certains observateurs-parents, représentent une évolution systématique dangereuse et inquiétante pour ceux et celles qui y participent, car ils y trouvent, selon eux, un plaisir malsain. Ces activités sont considérées comme des moyens, affirment certains jeunes, de se déconnecter des problèmes de la vie et même du pays. Mais pour certains parents, ce n’est pas tant le fait de se déconnecter du pays qui pose problème, mais plutôt la manière dont cela se fait. Certains parents estiment rétroactivement que les musiques jouées à une époque, comme le compas, ont contribué à façonner les individus selon les valeurs de l’époque, telles que les tenues, les manières de séduire, le respect envers les femmes et les hommes haïtiens. Toutes ces transformations ont largement été l’œuvre du compas, qui a permis aux gens de se déconnecter positivement. Il y a aussi le rara haïtien, le folklore, le carnaval haïtien, qui ont tous apporté une valeur différente et ont contribué à fournir un moyen de se défouler. Le rap, à son tour, exerce une influence qui, dans une large mesure, va à l’encontre du compas. Le rap, à l’époque actuelle, emprunte un chemin qui peut mener à une dérive individuelle et sociétale. Si nous reprenons les mots de Rousseau, cité par Donegani, pour dire que la musique peut agir physiquement sur le corps et influencer ses actions, ses pensées, son discours, voire sa transformation.  Nous devons également prendre en compte que, selon Donegani, selon la musique, elle peut même inciter ou conduire à la violence. Cela entre automatiquement dans notre champ d’étude sur le rap contemporain.

Le rap et ses diversités musicales

Dans ses diversités, le rap a ouvert la voie à plusieurs autres styles dans notre quotidien, comme le trapp, un style avec presque les mêmes tendances mais qui met l’accent sur la vantardise et un style plus extasié. On peut également identifier le drill, un autre style issu du rap, qui ne fait que nourrir le feu de la violence ; en l’encourageant, en l’incitant et en la provoquant, ou encore en reproduisant les mêmes scènes de déshumanisation ou de sexualisation du corps féminin. Pour finir, il y a le « rabòday » avec un rythme afro, qui nous invite à une table similaire au rap, qui nie l’importance des femmes dans la société, les réduisant à des objets uniquement destinés à satisfaire le désir sexuel masculin, et en faisant de l’image des femmes haïtiennes à travers les différentes appellations comme Tatàn, Wana, Ti mamoun, Limena, Madan Papa, Ti Sina [le livre de Jean Gardy Seide « La représentation collective de la femme dans la musique Rabòday (1995-2017) » nous invite à une vue d’ensemble sur ce sujet.]. Le raboday s’offre une liberté pour faire appel à une débauche sans réserve, mais ne semble pas vraiment encourager la violence physique comme le font les autres tendances musicales.

 

Le rap et son public consommateur.

Depuis ses débuts jusqu’à nos jours, le rap a fait son nom et continue d’introduire des changements, aussi bien positifs que négatifs, dans notre quotidien, attirant ainsi de nombreux regards et suscitant des débats continus. Les rappeurs savent interpréter la vie, la soumettre au public et la présenter dans nos discussions, sans se soucier de la normalité ou de l’absurdité. De plus, l’absurdité est passée d’un stade de rejet à un stade d’acceptation et d’appréciation. Tout cela, en partie, a été facilité par la notoriété du rap, selon certaines réflexions d’étudiants en Lettres et Philosophie du Campus Henry Christophe de Limonade de l’Université d’État d’Haïti. Avec cette domination et cette notoriété croissantes, le rap porte une force majeure qui permet d’accepter l’anormalité ou même l’immoralité dans nos modes de vie. Comme le dit l’un des penseurs, « le rap est l’art, et l’art est pouvoir ; un pouvoir ravageur et dominant. Ainsi, en fonction de son utilisation et de la manière dont il est octroyé, il peut construire ou détruire une personne ou une société ». Ainsi, l’art (musique, cinéma, peinture, théâtre, danse, etc.), dans la mesure où il est priorisé dans la société d’aujourd’hui, peut indiquer la société de demain. Cela implique que la société désirée pour demain doit être façonnée dès aujourd’hui avec l’aide de l’art, afin de faciliter son acceptation future.
Donley Menard, jeune penseur et fondateur de LaboRap, soutient que grâce au rap, on peut interpréter la vie d’une communauté, leur niveau d’éducation, de créativité, de socialisation, leur système politico-économique, entre autres. Ainsi, le rap est une fenêtre ouverte sur la réalité de la population qui le pratique. L’art est le moyen utilisé par le peuple pour exposer leur vie de l’intérieure à l’extérieure, et le rap nous permet de puiser au plus profond d’une communauté, en sortant du ghetto, en passant par les bourgeois, pour atteindre les chefs d’État. Comme le disait Donegani, « la musique, en tant que production culturelle et forme symbolique, participe de la vie sociale : étant un son organisé, elle exprime des aspects de l’expérience des individus en société. » [Cité dans le livre « Rap, Identité et Université, Sandy Larose et Ludia Exantus, page 18].
De ce public consommateur, en partie dépourvu de la capacité de juger et de critiquer, le rap ne fait qu’imposer toute situation et mode de vie courante. Ainsi, le rap et les autres diversités musicales présentées ci-dessus ont principalement les jeunes comme grands consommateurs et les rendent accros à cette construction musicale. La consommation du rap, tout comme celle du compas, ne se fait pas seulement par plaisir d’écouter une musique rythmée, mais comme un mode de vie. Cela engendre un phénomène de mimétisme parmi les rappeurs, les trappeurs et les drillers, où le public consommateur se contente de recevoir le style dicté, de l’appliquer et de le reproduire fidèlement. Cette situation invite à une compréhension plus approfondie, comme indiqué dans le paragraphe suivant.
*Le rap et sa marge de gangstérisation, d’acquisition et de reproduction immédiate.*
Le rap est perçu aujourd’hui comme une institution de rue à double fonction. D’une part, il transmet une éducation ou une valeur qui lui est propre en permettant à tous, sans exclusion, de faire valoir son idéologie, de revendiquer ses droits, en particulier les jeunes du ghetto. D’autre part, il impose une instruction imposante, non pas de manière dictatoriale ou politique, mais en incitant à rester constamment à la mode, obligeant ainsi les consommateurs à se conformer à la nouvelle réalité artistique et populaire. Les consommateurs, dans cette adaptation, ne voient aucun intérêt à rejeter un courant populaire, et ne sont ni sanctionnés ni critiqués par un groupe spécifique.
Pour certains, les médias ont facilité le chemin direct des criminels vers la population, ce qui rend le rap, le trap, le drill et le rabòday pour certains le couloir le plus stratégique et le plus efficace pour corrompre la jeunesse. Le besoin de rester à la mode pour ne pas être ridiculisé comme « timoun paran / timoun lakay / timoun legliz » impose en grande partie aux consommateurs de prouver leur libertinage. Ainsi, cette influence sociale s’étend jusqu’à une ouverture réelle et bénéfique pour les criminels. Avec une consommation libre, non protégée et non critiquée, il est facile pour ces rappeurs-criminels d’équiper l’esprit réceptif des consommateurs avec n’importe quoi. Ainsi, sans le savoir, ils reproduisent et introduisent dans une communauté fragile toutes sortes de comportements.
La musique, ou le rap, est l’un des moyens les plus faciles pour les criminels d’établir leur voix, leur style et leur autorité partout, sans même avoir besoin de se déplacer. Les jeunes, à travers le rap, ont donné une légitimité ambulante aux choses illégales. Dans une représentation plus claire, on peut étudier l’impact des criminels dans la vie quotidienne des jeunes, comme le fait de parler, de s’habiller, de penser et même d’agir ou de reproduire violemment les actes des criminels exprimés dans les chansons ou publiés sur les réseaux sociaux. Ces pratiques sont courantes dans des quartiers comme Shadda, La Fossette, Cité du Peuple, Lahence, Cité Chauvel, Champin, Madeline, etc., ainsi que dans la ville du Cap, comme Ti Ginen, Champs-de-Mars, Anba Ravin, et autres. Ces jeunes vont même jusqu’à adopter des surnoms inspirés de ces rappeurs-criminels. Selon certains observateurs, les criminels sont présents partout, non seulement sur tout le territoire national, mais aussi dans l’esprit de certaines personnes, pour qui les criminels sont de grands rappeurs, voire des sauveurs, ou représentent l’État communautaire.
Cette présence des criminels dans les esprits est un autre aspect qu’il convient d’examiner dans nos débats réfléchis. En effet, après la musique, d’autres moyens tout aussi efficaces servent d’échappatoire pour les criminels afin d’influencer et de gagner le soutien de la population. Cela peut se traduire par la distribution de nourriture, l’aide aux plus démunis, le renforcement de leur prétendue sécurité, voire le partage de l’argent obtenu par des activités illicites, parfois en volant les plus riches pour aider les plus pauvres de la population. Cette proximité et cette attitude confèrent un avantage aux criminels en les présentant comme des bienfaiteurs et en les protégeant des forces de l’ordre ou des critiques morales. Ainsi, toute personne voulant s’opposer aux criminels risque de se retrouver isolée, car ils peuvent compter sur une coopération totale de la population. Ce phénomène peut être comparé au syndrome de Stockholm, où les otages développent des sentiments positifs envers leurs ravisseurs et commencent à ressentir de l’hostilité envers les forces de l’ordre.
En conclusion, la volonté de mener une vie complète, de se sentir libre, de donner un sens à sa vie, de se sentir utile, puissant et protégé laisse les Haïtiens face à des choix difficiles et sans jugement moral. Le problème réside dans le fait que l’Haïtien moyen n’a pas encore acquis cette capacité de réflexion critique institutionnalisée qui pourrait orienter les idées populaires. Les solutions existent déjà, et elles ne sont pas secrètes, mais elles nécessitent simplement des personnes capables de les systématiser et de les mettre en pratique.
En définitive, le rap reste l’un des mouvements qui nécessite un examen approfondi de sa pratique, de sa réception, de son utilisation et de sa reproduction dans la société haïtienne. Il est essentiel d’influencer le rap pour obtenir des résultats plus positifs et bénéfiques pour la population actuelle et future.

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