Présidentielle américaine : la crainte d’une « guerre civile » face à la polarisation et la violence

La violence politique a atteint son paroxysme ces dernières semaines avant l’élection présidentielle entre Donald Trump et Kamala Harris.

ÉTATS-UNIS – Il y a les pro-armes contre les anti-armes. Les féministes contre les tradwives. Les défenseurs du droit à l’avortement contre ceux qui défendent le droit à la vie… À deux semaines de la présidentielle du 5 novembre, la société américaine a rarement été aussi divisée et l’ampleur de cette fracture est représentée par les deux personnalités qui s’affrontent : la démocrate Kamala Harris et le républicain Donald Trump.

 

Donald Trump s’affiche chez McDonald’s pour attaquer Kamala Harris avant la présidentielle

« Il y a des tensions très fortes. Il y a chez de nombreux Américains un rejet et même une détestation des Américains qui appartiennent au camp opposé. Les deux blocs ont l’impression de vivre sur deux planètes différentes », pointe auprès du Huffpost Mathieu Gallard, directeur d’études chez Ipsos. À tel point que le chercheur a écrit un livre sorti tout juste un mois avant l’élection, intitulé Les États-Unis au bord de la guerre civile ?

En 2019 déjà, le terme « guerre civile » avait fait son chemin sur les plateaux de télévisions et était interrogé par les chercheurs. Le Washington Post avait alors publié un article alarmiste, sous le titre : « En Amérique, les conversations tournent autour de quelque chose dont on n’a pas parlé depuis 150 ans : la guerre de Sécession ». C’était deux ans avant l’insurrection au Capitole menée par les supporters de Donald Trump qui n’ont pas reconnu la défaite de leur champion, et qui a failli faire basculer la démocratie américaine.

 

Depuis la situation ne s’est pas améliorée, loin de là. Les conservateurs sont chauffés à blanc par le républicain que l’expérience traumatisante du Capitole n’a pas calmé. Ces dernières semaines, Donald Trump redouble de folie dans sa rhétorique : il appelle à mobiliser l’armée « si nécessaire » pour faire face aux « à la gauche radicale » le jour de l’élection, estime que l’insurrection du Capitole était « un jour d’amour », qualifie ses opposants politiques de « vermines » et Kamala Harris d’« handicapée » ou « de vice-présidente de merde ». Et en oublie (volontairement ?) le fond des sujets.

 

Avoir été victime par deux fois de tentatives d’assassinat a redoublé sa détermination dans la course à la Maison Blanche, se voyant même comme un protégé de Dieu. L’image de son poing levé et de son oreille en sang en Pennsylvanie a suffi à galvaniser sa base, qui ne l’imagine plus ailleurs que dans le Bureau ovale à partir de janvier, date où Joe Biden quittera définitivement la Maison Blanche. Donald Trump lui-même ne s’est pas engagé à reconnaître les résultats de l’élection 2024.

 

C’est pourquoi Nina Silber, professeure d’histoire à l’université de Boston et spécialiste de la guerre de Sécessions’inquiète auprès du HuffPost : « J’ai bien peur que depuis (2019), nous ayons été encore plus loin dans la normalisation de la violence politique. Et je pense que ça va continuer. » Mathieu Gallard n’en pense pas moins, voulant pour preuve que « les “crimes de haine” sont en hausse constante aux États-Unis. De même que les actes qualifiés de “terroristes” par le FBI, qui sont souvent le fait d’individus ou de groupes professant des opinions d’extrême droite, hostiles aux minorités ou anti-avortement. »

 

Comme le remarque Nina Silber, c’est d’ailleurs chez ces adhérents d’extrême droite que la rhétorique autour de la guerre civile est employée. « Certains espèrent peut-être qu’en normalisant ce langage, la guerre civile va devenir une prophétie autoréalisatrice, s’interroge-t-elle. Au minimum, ça va pousser les militants à être à fond pour défendre leurs positions. »

 

Une partie de la base MAGA (Make America Great Again, le slogan de Trump) semble en tout cas avoir bien compris le message. Un fervent supporter de l’élue républicaine trumpiste Lauren Boebert interrogé dans un reportage diffusé dans l’émission C à Vous le dimanche 13 octobre a ainsi lâché : « Nous sommes déjà dans une guerre civile. C’est juste que nous n’avons pas encore tiré. »

 

Mais la violence politique n’est pas cantonnée à la frange la plus trumpiste de l’échiquier politique. Une étude du Chicago Project on Security & Threats publiée en juillet, quelques jours avant la première tentative d’assassinat, a montré qu’environ 10 % des adultes américains, soit 26 millions de personnes soutiennent l’utilisation de la force pour empêcher Donald Trump de devenir président. Cette conclusion fait froid dans le dos et laisse imaginer le pire après le 5 novembre.

 

Une « guerre civique »

Ce tableau apocalyptique mérite toutefois d’être mis en perspective. « Il n’y a pas de guerre civile comme on peut la penser avec deux camps très organisés et armés », relativise l’historienne Nina Silber, bien que le film Civil War sorti au printemps dernier ait pu alimenter certains fantasmes. Quant à Mathieu Gallard, il estime qu’« il y a bel et bien aux États-Unis ce sentiment que le pays bascule peu à peu vers une sorte de guerre civile larvée dont l’attaque contre le Capitole le 6 janvier 2021 n’aurait été qu’une des prémices ». Mais c’est « une partie de la réalité seulement ».

 

En effet relativise-t-il, « ce sentiment ne concerne pas tous les Américains : il concerne les bases électorales radicalisées des deux partis, la radicalisation étant d’ailleurs de manière générale plus poussée chez les républicains que chez les démocrates ». Chez les « citoyens plus modérés, il y a le sentiment qu’il faut absolument y faire face et la freiner ». Lui préfère alors parler de « guerre civique ». Tout en restant prudent, car « la dynamique est à l’amplification de ce phénomène de polarisation et de radicalisation » qui pourrait « devenir ingérable à un certain point ».

 

Dès lors, difficile d’anticiper ce qu’il va se passer lors de l’élection du 5 novembre et dans les semaines qui vont suivre. L’Américaine Nina Silber fait part de ses craintes, jugeant que « les gens doivent vraiment prendre au sérieux Donald Trump quand il dit qu’il n’acceptera pas les résultats s’il perd ». La tension risque de monter encore jusqu’au jour-J.

 

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